Boris, l'homme sourire qui voulait aller en Norvège à vélo
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Boris, l'homme sourire qui voulait aller en Norvège à vélo

pas vraiment en mesure de me dire combien de litres de bière il a bu pendant son trajet, Boris est pourtant assez précis et méticuleux (voir les questions relatives au choix du matériel). Boris est aussi persévérant : à part quelques nuitées chez l’habitant deci delà, pas un resto, pas un B&B… pendant 2 mois et demi. casque bas. et pourtant quand il nous décrit ses menus, ça ne vend pas vraiment du rêve 🙃 : à grands coups de fourchette de baroudeur dans des conserves ou d’incisives dans des carottes, serait-il passé à côté de l’essentiel lorsque l’on voyage : faire travailler tous ses sens ? pas vraiment… 

d’ailleurs, où se situe l’essentiel lorsque l’on s’embarque pour un voyage de 6500km à vélo ? c’est la question qui se cache derrière chacune de celles auxquelles Boris a bien voulu répondre.

car au fond, le vélo n’est qu’un prétexte.

 

quand on part de France pour la Norvège en passant par les îles britanniques, on connait l’objectif, alors avoue… combien de litres de bières as-tu bu ?

je suis incapable de te dire combien mais un paquet ! au cours du 1er mois je n’ai pas fait un soir sans, normal, j’étais au UK et j’ai souvent bu et mangé en même temps comme on dit quand on boit de la Guinness, et qu’est-ce que c’est bon !

 

j’ai mis 2 mois et demi pour faire les 6500km avec une moyenne de 85km par jour

 

est-ce que tu peux me décrire rapidement ton itinéraire ?

je suis parti de ma Normandie natale pour rejoindre la Norvège en empruntant l’eurovélo 1 (Angleterre, Pays-de-Galles, Irlande, Ecosse, Norvège), l’idée c’était d’arriver avant qu’il ne fasse trop froid et que les jours ne soient trop courts, sans forcément me mettre la pression sur le rythme ni me fixer une date d’arrivée précise. j’ai mis 2 mois et demi pour faire les 6500km avec une moyenne de 85km par jour

pourquoi cette destination ?

un copain que je n’ai pas vu depuis longtemps vit en Norvège et la différence culturelle que je fantasmais entre la Scandinavie et la France me fascinait, alors quand j’ai vu que l’ev1 permettait de rouler en majorité le long des côtes, mon choix était fait.

 

je voulais que ce voyage laisse la place à la découverte et à la liberté de suivre ses envies

 itinéraire Ride Solidaire Eurovélo 1 

tu dis avoir suivi l’eurovélo 1, comment as-tu préparé ton itinéraire ?

j’ai simplement téléchargé la trace GPX sans trop me prendre la tête et sans vraiment regarder les points d’intérêt. j’ai préféré faire confiance aux conseils des gens que je croiserai en route (j’ai bien fait), me laisser porter, je voulais que ce voyage laisse la place à la découverte et à la liberté de suivre ses envies. par conséquent, j’ai surtout passé du temps sur l’équipement

tu nous expliques ?

c’était une belle prise de tête, surtout quand c’est la 1ère fois que tu t’embarques pour une telle distance en autonomie, tout doit être plutôt bien réfléchi en amont. Avant, je faisais du bikepacking à la petite semaine en utilisant mon vélotaf avec des petites sacoches et un sac à dos sanglé sur le porte-bagages. j’ai donc acheté un gravel et l’équipement adapté pour un voyage en solo et la complexité vient du fait que l’offre est presque trop abondante. en m’y prenant à l’avance, j’ai pu tester sur de petites sorties. il m’a fallu 1 mois et demi pour mettre au point le bon mix mais ça valait le coup parce qu’avec le recul, je suis très content de mes choix

d’ailleurs, pour ceux qui veulent connaître en détails ton équipement, on peut leur conseiller de lire l’interview que tu as accordée à Hugo sur son site et consultable ici, mais peut-être que tu peux nous dire rapidement ce que tu as pris comme maillots et cuissards ?

j’avais 2 maillots, un en laine mérinos (top!) et l’autre en polyester que je le troquerai pour un 2nd maillot en laine mérinos si c’était à refaire. la laine mérino a cet avantage de couvrir une plus grande amplitude de températures et surtout de naturellement mieux répondre aux mauvaises odeurs…!
pour les cuissards, je n’ai pris qu’un seul cuissard et sans bretelles, ce que je trouve nettement plus pratique sur la durée. ma selle Brooks qui est géniale et qui est très confortable sans cuissard, me permettait d’alterner les jours avec et sans cuissard ce qui offre l’avantage de faire varier les points de contact. cela dit, la prochaine fois je partirai avec un cuissard de meilleure qualité.

équipement bikepacking Ride Solidaire

vélo Ride Solidaire équipé pour le bikepacking, sacoches

et maintenant, où te trouves-tu exactement ?

je suis sur un tout petit îlot à Naustholmen en Norvège, tenu par l’aventurière Rani Skaug qui accueille des voyageurs comme moi qui viennent s’inspirer des ses expériences d’alpinisme comme l’ascension de l’Everest, vivre au rythme de la nature au sein d’un woofing très agréable. 

 

j’ai globalement été bluffé par la capacité du corps à s’adapter et encaisser la charge et la répétition des efforts

et tu te sens comment ?

ça va hyper bien, mentalement je ressens une grande sérénité, un sentiment de plénitude, la satisfaction de “l’avoir fait” et sans le blues qu’on ressent parfois à la fin d’une expérience marquante lorsque l’on prend conscience que c’est fini

en même temps tu es encore “ailleurs” et pas tout à fait sur le point de rentrer, c’est quoi d’ailleurs la suite ?

je vais rentrer tranquillement, majoritairement en train en faisant des haltes pour voir des potes à droite & à gauche. j’avais envisagé de rentrer à vélo de Stockohlm à Hambourg par l’eurovélo 10 mais ça fait 2000km en plus et je n’ai pas forcément le temps

ni les jambes peut-être ?

si, de ce côté ça va bien : j’ai tenu sans aucun souci jusqu’à mon arrivée en Norvège  mais à partir du moment où je me suis arrêté j’ai senti une énorme vague de fatigue m’envahir, comme si le corps m’imposait un repos forcé après avoir accepté les efforts répétés pendant 2 mois et demi ! c’est d’ailleurs d’autant plus impressionnant que je n’ai eu aucune crampe, aucune courbature pendant le voyage. pourtant je n’ai pas fait de préparation particulière au préalable. je ressentais bien, tous les matins, au démarrage, le besoin pour le corps de se remettre en route, mais j’ai globalement été bluffé par la capacité du corps à s’adapter et encaisser la charge et la répétition des efforts.

justement, tu veux nous raconter comment tu rythmais tes journées ?

c’était à peu près tout le temps le même enchaînement : petit-déjeuner, rangement du bivouac puis mise en route et vélo toute la journée avec une pause dej vers 13h en fonction de la faim, de la distance parcourue.


vers 18h, recherche d’un pub où me poser pour recharger le téléphone, faire de belles rencontres et prendre un peu de Wi-Fi.
je plantais la tente après le pub, l’été il fait jour tard dans ces contrées mais c’est vrai que je me suis laissé surprendre quelques fois par l’obscurité ou les averses en trainant un peu trop au bar ;)

 

 

puisqu’on parle de pub, tu as traversé des pays peu connus pour leur gastronomie, culinairement, qu’est-ce que tu garderas comme belles surprises ?

le sticky toffee pudding écossais ! (Yes sir!) : un pudding aux dattes super gourmand recouvert d’une sauce caramel et servi avec une boule de glace vanille, une tuerie, plein de calories garanti ! j’ai aussi découvert le porridge que j’ai adopté pour toute la durée du voyage au petit déjeuner, ça tient au corps et tu peux l’agrémenter différemment tous les matins !

et les pires découvertes ?

en Norvège… il y a tout un tas de truc en tubes, notamment une pâte de poisson qu’ils appellent “kaviar” à tartiner sur du pain, c’est chimique et terriblement salé, peut-être une question d’habitude mais celle-ci je ne leur prends pas !

et qu’est-ce que tu mangeais en pédalant ?

de manière générale je suis très gourmand et je grignote tout le temps pendant la journée, j’ai toujours des fruits, un mélange de graines et cacahuètes à portée de mains et aussi… des carottes que je croque en roulant

d’ailleurs, manger en roulant c’est parfois risqué non…?

oui… je me suis fait une énorme frayeur en voulant ouvrir un paquet de cacahuètes sans prendre le temps de m’arrêter. je me suis joliment vautré mais heureusement sans trop de casse. j’ai senti ma main et mon épaule gauches pendant plusieurs jours mais heureusement sans que ça m’empêche de continuer. a posteriori, je me suis dit que tout aurait pu s’arrêter à ce moment-là… sur une bêtise et parce que je pensais que je pouvais tout faire en roulant, un peu trop de confiance et un rappel à l’ordre qui m’a bien calmé pour la suite

c’aurait été vraiment dommage, pour toi comme pour la jolie cause que tu as soutenue en parallèle de cette expérience personnelle… le soutien à l’association Nav’Solidaire

oui c’est une association qui collecte des prothèses de membres inférieurs et supérieurs arrivant en fin de cycle en France pour les acheminer en Afrique afin d’appareiller des personnes qui n’ont pas accès à ces dispositifs médicaux. la collecte se fait en blablalegs (co-voiturage), le tri est fait bénévolement dans la Manche et des voiliers de plaisanciers, sensibles à la cause et ayant prévu de faire ce trajet, convoient les prothèses vers la Gambie ou le Sénégal. il y a donc un volet humanitaire mais également éco-responsable dans toute la démarche de l’association, ce qui me touche particulièrement.

j’avais envie d’emmener un bout de chez moi dans cette aventure, soutenir une association locale

pour quelles raisons tu as choisi Nav’solidaire ?

en plus des raisons que je viens de citer, j’avais envie d’emmener un bout de chez moi dans cette aventure, soutenir une association locale et j’avais rencontré Antoine son fondateur, lui-même amputé, il y a quelques années, par le biais du boulot. il a réalisé qu’en France, les prothèses étaient remplacées tous les 3 à 5 ans et qu’on ne leur donnait pas de seconde vie alors même que beaucoup de pays en manquent… bon, je crois qu’encore une fois, le choix n’était pas difficile à faire

 

j’imagine que pédaler pour une telle association, ça aide quand on a un coup de moins bien ?

c’est clair ! et il est arrivé que les gens que je croisais et à qui j’en parlais, souhaitaient donner en direct pour soutenir les actions de l’association, toute cette générosité donnait de la force, voir la cagnotte qui montait, ça motivait à pédaler et à continuer à partager sur les réseaux !

tu te dis sensible aux sujets environnementaux, comment as-tu fait pour voyager de façon responsable justement ?

pour moi c’était hyper important, c’était naturel. choisir le vélo c’est déjà un engagement responsable en soi. je n’ai pris qu'une seule fois l’avion entre l’Écosse et la Norvège non sans avoir essayé de faire le trajet en bateau, mais après 2 jours à essuyer le refus de tous les commandants de navires marchands (il n'y a plus de liaison en ferry entre les 2 pays) je me suis résigné à prendre l'avion.

sur place, j’essayais d’acheter le moins d’emballages possible, de ne pas consommer de viande, peu de poisson et d’acheter des produits frais aux agriculteurs croisés sur ma route. malheureusement je n’ai trouvé que très peu de produits en vrac sur mon parcours, donc j’achetais beaucoup de conserves sachant que ça se recycle à l’infini. mais c’est vrai que les pays que j’ai traversés produisent peu de denrées alimentaires localement et tout ce qui y est importé est emballé dans du plastique. ça m’a d’ailleurs affolé de voir les déchets sur certains bas côtés : par exemple, je me souviens d’une route en Irlande dont une portion de 40 à 50 km traversait une zone totalement vierge, peuplée uniquement de bétail et d’éoliennes. j’y ai vu des vaches qui mâchonnaient des bouteilles en plastique…! du coup pendant certaines pauses déj, je ramassais des déchets.

et puis enfin, pour l’anecdote, j’utilisais la rosée du matin sur la tente pour faire ma toilette 🙂

 

un jour, en cherchant le pub d’un village, je passe près d’une maison et je vois un type, seul sur sa terrasse à fixer le soleil droit dans les yeux avec un sourire immense

 

tu as aussi parlé de gens que tu croisais, il parait que voyager c’est aller à la rencontre de l’autre. alors, pour Boris, quels ont été les “autres” marquants ?

il y en a eu énormément en réalité et si je devais n’en citer qu’un ce serait ce cuisinier globe trotter revenu sur son Irlande natale pour y passer sa retraite : Kit le collectionneur fou.

tu veux nous raconter ?

un jour, en cherchant le pub d’un village, je passe près d’une maison et je vois un type, seul sur sa terrasse à fixer le soleil droit dans les yeux avec un sourire immense, je l’interpelle et… spontanément, il m'invite à monter boire une bière, nous prépare à diner, on refait le monde en écoutant du Bob Marley, il m’héberge, me fait le petit déjeuner… par la suite il prendra même souvent de mes nouvelles. cette spontanéité et cette générosité tant matérielle que dans ses récits m’ont d’autant plus marquées que sa retraite en Irlande est très modeste (il a essentiellement travaillé à l’étranger), et qu’il vit de très peu de choses, sans eau chaude…

 

 

 

le vélo comme prétexte…

oui c’est clair, le vélo aide pour ça, il génère une forme de curiosité bienveillante et d’empathie chez l’autre. et c’est curieux parce que ça provoque aussi un changement de comportement chez le voyageur. je ne suis pas le dernier à aller vers les autres mais je remarque que je l’ai fait avec d’autant plus de facilités durant ce voyage, ma curiosité s’est exprimée encore plus naturellement sur des terres dont je ne suis pas originaire et par le fait d'y voyager seul.

le vélo est un excellent compromis en terme de vitesse de déplacement (...) on peut parcourir du pays et (...) c’est suffisamment lent pour profiter des paysages 

et pourquoi le vélo ? tu aurais pu faire ce voyage à pieds…

le premier point c’est que j’adore le vélo, ensuite, je trouve que c’est un excellent compromis en terme de vitesse de déplacement, on peut parcourir du pays, facilement faire des détours et en même temps c’est suffisamment lent pour profiter des paysages tout en transportant du poids sans charger le corps

tu dis “parcourir du pays”, qu’est-ce que ça signifie pour toi et qu’est-ce que tu recherches en voulant “parcourir du pays” ?

ça veut dire vivre une aventure, avoir l’assurance de voir différents types de paysages, dans notre imaginaire, je pense qu’il y a dans la notion d’aventure une dimension indissociable liée à l’espace, à la distance… qui n’est pas un objectif en soi, mais à pied je serais allé moins loin et j’aurais croisé moins de diversité et enfin, parcourir du pays c’est un raccourci pour dire que l’on va à la rencontre d’autres cultures.

 

aujourd’hui, je sens que certains curseurs ont bougé sur cet aspect (...) le vélo permet cette méditation, de se sentir davantage présent ici et maintenant et de décorréler le plaisir de vivre de celui de posséder

 

 

on dit aussi que les voyages forment la jeunesse, de quelle manière ce voyage fut-il également intérieur ?

c’est vrai, je me sens différent après ce voyage, plus libre, je ressens également un sentiment d’accomplissement doublé d’une forme de légèreté. j’ai pris un rythme différent, dans cette routine quotidienne qui n’en n’était au fond pas une et grâce au fait d’être ouvert et curieux, de se laisser tenter par les surprises et les rencontres que le voyage met sur ta route. elles ont rythmé mon voyage.

un autre changement vient du fait que j’ai vécu pendant 2 mois et demi dans un confort assez rudimentaire. aujourd’hui, je sens que certains curseurs ont bougé sur cet aspect.
au fond, il me semble que le vélo permet cette méditation, de se sentir davantage présent ici et maintenant et de décorréler le plaisir de vivre de celui de posséder des choses.

je retiens aussi que la générosité des gens que tu croises ne demande souvent qu’un sourire pour s’exprimer, il suffit simplement d’aller vers eux en étant animé d’une curiosité sincère.

 

il suffit de s’arrêter, observer et apprécier.

 

et que dire de l’immersion dans la nature sauvage de cet itinéraire…?

oui, c’est d’ailleurs incroyable d’être témoin de cette richesse et de ressentir cette indifférence des éléments à notre présence. j’ai pris encore plus conscience de l’importance d’en prendre soin, les émotions que provoquent l’immensité, la luxuriance et la turbulence des météos côtières qui éclatent les paysages à grands coups de contrastes, de bourrasques, de couleurs ou de langues de brume… il suffit de s’arrêter, observer et apprécier.

qu’est-ce que tu ressentais dans ces moments ?

au fond dans ces moments là, on ressent des choses assez simples, une envie de rester là, c’est juste beau, ça me donnait le sourire de contempler cette incroyable nature au quotidien.

 

 

tu te dis que tu n’es rien, pourtant c’est aussi ce qui te permet de réaliser qu’à l’échelle d’une vie tu te dois de respecter tout ça et de faire en sorte d’en prendre soin

 

oui, cette nature qui est totalement indifférente à notre présence

c’est vrai, que tu sois là ou pas… il va pleuvoir, le vent va souffler, l'eau couler dans les ruisseaux… en Norvège d’ailleurs, l’immensité prend aux tripes, tu te sens tout petit, tu te dis que tu n’es rien, pourtant c’est aussi ce qui te permet de réaliser qu’à l’échelle d’une vie tu te dois de respecter tout ça et de faire en sorte d’en prendre soin.

 

 

pour toi, c’est quoi maintenant, comment envisages-tu ton retour ?

j’ai envie de tester une vie moins sédentaire en commençant par une saison à la montagne, profiter de cet environnement nature qui m’attire tout comme le panel d’activités possible été comme hiver et voir ainsi si je m’y projette

ça fait 10 ans que je bosse en tant que manager, je ressens le besoin de tester un style de vie différent, repartir sur un poste plus concret, plus authentique au niveau des échanges et plus proches de ma passion pour l’outdoor

j’ai donc décroché un poste d’animateur dans un centre UCPA à Tignes pour cet hiver ! 

all the best, Boris, merci d'avoir partagé tout cela !

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